dimanche 26 novembre 2017

C'est ainsi que cela s'est passé - Natalia Ginzburg




TitreC'est ainsi que cela s'est passé 

Auteur : Natalia Ginzburg

Publication : 1983 en France, 1947 en Italie.

Maison d'édition : Denoël (Empreinte)

Couverture : Stanislas Zygart

Traducteur : traduit de l'italien par Georges Piroué

Nombre de pages : 127

Sur l'auteur

Née à Palerme, Natalia Ginzburg a publié ses premiers récits dans la revue Solaria en 1933. De 1940 à 1943, elle fut exilée pour anti-fascisme avec son mari Leone Ginzburg. Celui-ci, intellectuel italien d'origine russe, devait mourir sous la torture dans la prison romaine de Regina Coeli. En 1950, Natalia Ginzburg épousa en secondes noces l'écrivain Gabriele Baldini. Romancière, essayiste, auteure dramatique, son œuvre est traduite dans de nombreuses langues.


Résumé : Un matin gris à Turin dans les années cinquante. Une femme en imperméable marche sans but dans la ville. Elle vient de tirer une balle entre les deux yeux de son mari. Un geste sec et efficace accompli sans aucune préméditation. 
Perdue au milieu des avenues muettes et hivernales, elle se souvient : la rencontre et l'espoir, l'attente et l'incertitude, puis la vie à deux jusqu'à cette matinée fatale.

Citation :
"Mais pourquoi diable vous êtes-vous mariés tous les deux ?
- Oui, j'ai fait une erreur. Il n'en avait pas grande envie, mais il ne s'est pas arrêté à réfléchir. Il n'aime pas penser longuement aux choses importantes. Et puis il déteste les gens qui regardent fixement en eux-mêmes et qui se forcent à découvrir la manière juste de vivre. Quand il me voit immobile et silencieuse en train de penser, il allume une cigarette et s'en va. Je l'ai épousé parce que je voulais toujours savoir où il était. Alors que lui sait toujours où je suis. Il sait que je suis ici et que je l'attends. Mais moi, au contraire, je ne sais pas où il est. Ce n'est pas mon mari. Un mari est quelqu'un dont on sait toujours où il est. Quelqu'un qui, quand on te demande "Où est-il?", tu peux répondre sur-le-champ sans crainte de te tromper. Mais moi maintenant je ne sors plus de chez moi dans la crainte de rencontrer des connaissances qui me demanderont : "Où est-il?" Tu comprends, je ne saurais pas quoi répondre. Cela te fera peut-être l'effet d'une chose un peu stupide, ai-je conclu, mais j'ai honte et je ne sors pas de chez moi."
Il a dit :
"Mais pourquoi vous êtes-vous mariés? Qu'est-ce qui vous a pris?"
Je me suis mise à pleurer. Et lui :
"Une belle imbécillité."


Commentaire personnel : Ce court roman m'a parfois fait penser à Madame Bovary de Gustave Flaubert. C'est l'histoire d'une femme qui épouse un homme, mais qui s'ennuie profondément dans ce mariage. À un point même qu'elle commet un meurtre : celui de son époux. Ce n'est non un suicide comme chez Flaubert, mais un crime. Elle explique les raisons qui l'ont poussées à faire ce geste : adultère, décès d'un enfant, ennui, peur, abandon... Un roman écrit à la première personne adressé à Leone, le premier mari de Natalia Ginzburg, l'auteure. Peut-être y a-t-elle mis une touche autobiographique dans ce livre. 
J'ai été un peu déçue par le roman en lui-même, je m'attendais à quelque chose de plus cru, de plus violent, peut-être un peu plus moderne. C'est un livre destiné aux personnes aimant Flaubert, sans les descriptions sans fin. Il est très court et se lit très vite, ce qui est une bonne chose en soi. J'aime beaucoup la couverture, elle m'a intriguée en premier lieu. L'écriture m'a plue aussi, car elle est très jolie, un peu enfantine par moments, mais est globalement simple. Nous découvrons une Italie ancienne, où perdre un enfant n'est pas si anodin, mais où la douleur est en revanche présente. 
Nous ne connaissons pas le prénom du personnage principal, mais nous savons qu'elle a 26 ans quand elle épouse Alberto qui a la quarantaine. Il est petit et plus vieux, mais cela ne semble déranger ni l'un ni l'autre au sein du couple. Natalia Ginzburg dresse un portrait d'une femme rongée et usée par ce mariage sans amour.

samedi 4 novembre 2017

N'éteins pas la lumière - Bernard Minier



TitreN'éteins pas la lumière

Auteur : Bernard Minier

Publication : 2014

Maison d'édition : Pocket

Couverture : Plainpicture / Lohfink

Traducteur : ø

Nombre de pages : 700

Sur l'auteur


Bernard Minier, né en 1960, originaire de Béziers, a grandi au pied des Pyrénées. Contrôleur principal des douanes, marié et père de deux enfants, il vit aujourd'hui en région parisienne. Glacé (2011) son premier roman, a reçu le prix du meilleur roman francophone du Festival Polar de Cognac. 
Après Le Cercle (2012) et N'éteins pas la lumière (2014), son dernier ouvrage, Une putain d'histoire (2015), a également reçu le prix du meilleur roman francophone du Festival Polar de Cognac.
Ses livres sont  traduits en 18 langues.







Résumé
"Tu l'as laissée mourir..."
Le soir de Noël, Christine Steinmeyer, animatrice radio à Toulouse, trouve dans sa boîte aux lettres le courrier d'une femme qui annonce son suicide. Elle est convaincue que le message ne lui est pas destiné. Erreur ? Canular ? Quand le lendemain, en direct, un auditeur l'accuse de n'avoir pas réagi, il n'est plus question de malentendu. Et bientôt, les insultes, les menaces, puis les incidents se multiplient, comme si quelqu'un cherchait à prendre le contrôle de son existence. Tout ce qui faisait tenir Christine debout s'effondre. Avant que l'horreur fasse irruption. 
Dans les ténèbres qui s'emparent de sa vie, la seule lueur d'espoir pourrait bien venir d'un certain Martin Servaz.

Citation :

J'écris ces mots. Les derniers. Et, en les écrivant, je sais que c'est terminé : il n'y aura pas de retour en arrière possible, cette fois.
Tu vas m'en vouloir de te faire ça un soir de Noël. Je sais que ça heurte au plus haut point ton fichu sens des convenances. Toi et tes foutues manières. Dire que j'ai cru à tes mensonges, à tes promesses. De plus en plus de paroles et de moins en moins de vérité : c'est ça, le monde, aujourd'hui.
Je vais vraiment le faire, tu sais. Ça, au moins, ce n'est pas du baratin. Est-ce que ta main tremble un peu à présent ? Est-ce que tu transpires ? 
Ou peut-être qu'au contraire tu souris en lisant ces mots. Est-ce que c'est toi qui es derrière tout ça ? Ou bien ta pétasse ? C'est vous qui m'avez envoyé tous ces opéras ? Et le reste : vous aussi ? Peu importe. Il y a eu un moment où j'aurais donné n'importe quoi pour savoir qui pouvait me haïr à ce point, un moment où je cherchais désespérément comment j'avais pu susciter tant de haine. Parce que forcément ça venait de moi, c'est ce que je me disais. Mais plus maintenant. 
Je crois que je deviens folle. Folle à lier. À moins que ça ne soient les médocs. De toute façon, cette fois, je n'ai plus la force. Cette fois, c'est terminé. J'arrête. Stop. Qui que ce soit, il a gagné. Je n'y arrive plus. Je ne dors plus. Stop.
Je ne me marierai jamais, je n'aurai jamais d'enfants : j'ai lu cette phrase dans un roman. Merde. Maintenant, je comprends ce qu'elle voulait dire. Il y a des choses que je vais regretter, bien sûr. La vie peut être drôlement chouette parfois, sans doute pour mieux nous blesser ensuite... Toi et moi, cela aurait peut-être fini par coller, avec le temps. Ou peut-être pas... Pas grave. Je sais que tu auras vite fait de m'oublier, de me reléguer dans le magasin des souvenirs désagréables, ceux qu'on n'aime pas évoquer. Tu diras à ta pétasse, en prenant un air repentant : "Elle était folle, dépressive ; je n'ai pas compris à quel point." Et puis, vous passerez bien vite à autre chose. Vous rirez et vous baiserez. Mais je m'en fous : tu peux crever. En attendant, c'est moi qui vais le faire.

JOYEUX NOËL QUAND MÊME.


Commentaire personnel : Ce roman a été vite expédié dans ma pile de livres lus. Beaucoup de passages m'ont choqués, m'ont laissés sans voix, et m'ont fait trépider d'angoisse avant de dormir. Un passage particulièrement, d'une violence morale et physique inouïe. Je ne pouvais pas défaire mes yeux des lignes, même si je voulais en même temps refermer le livre et le jeter très loin de moi. 
C'est un roman psychologique sur certains abords. Bernard Minier manie certains sujets délicats comme le suicide ou le harcèlement. 
J'ai eu la chance de parler avec cet auteur quand je travaillais à la Comédie du Livre cette année. Je lui ai posé des questions et il m'a répondu avec sincérité. C'est un homme incroyablement gentil et passionné. Il m'a avoué qu'il écrivait ses romans entre huit et dix mois. Ça peut paraître long pour certains, et court pour d'autres. Mais en tout cas c'est le temps qu'il lui faut. 
Ce roman m'a laissée perplexe, je n'ai rien vu venir. Rien du tout. Je pensais que c'était un personnage en particulier qui avait écrit la lettre et fait toutes ces méchantes choses à Christine, mais c'était finalement un tout autre personnage. Comme quoi, la manipulation y joue beaucoup. Ce personnage a manipulé tout le monde afin de prétendre qu'il était un saint aux yeux de tous, une victime même. C'est pourtant, quand on comprend sa psychologie, un personnage ignoble, sans pitié, manipulateur, sans peur, qui agit pour une simple et bête raison. 
Je conseille ce livre car il est vraiment poignant. On suit la persévérance de Christine tout au long du roman. Elle souhaite à tout prix retrouver qui a fait tout ça. Qui la fait passer pour une malade mentale, qui la suit partout, qui rentre chez elle par effraction même quand elle change les serrures, qui blesse son entourage, qui la fait passer pour folle auprès de son fiancé. Elle finit seule, au fond du gouffre, sans amis, sans son fiancé, sans son travail. Tous la laissent tomber, un par un. Ils la délaissent. Elle hésitera d'ailleurs à mettre fin à ses jours, puis se dira qu'elle n'a pas fait tout ça pour rien. Elle continuera à chercher la vérité, cette vérité qui a un prix. 
Chaque chapitre (plus ou moins) alterne entre le récit de Christine et celui du commandant Martin Servaz. Martin n'avait pourtant rien en commun avec Christine au début du roman, mais au fil des pages ils finissent par se rencontrer et il l'aide. Il croit en elle lorsque tout le monde la laisse tomber. Il est là pour elle, la soutient et veut coincer à son tour celui qui a fait ça. Cette pourriture.

L'écriture est dingue, crue, sans pitié. Il ne prend pas des pincettes pour décrire certaines scènes terribles, comme celles de meurtre, de viol, de prise de drogue... 
J'avais déjà lu Le Cercle mais il m'avait beaucoup moins plu que N'éteins pas la lumière. On sent ici que l'auteur s'est lâché dans son style, il s'est livré à son cercle de lecteurs, à nous. Il est plus à l'écoute de nos attentes. Ça se ressent.