samedi 6 janvier 2018

Au revoir là-haut - Pierre Lemaitre


TitreAu revoir là-haut

Auteur : Pierre Lemaitre

Publication : 2013

Maison d'édition : Albin Michel

Couverture : ø

Traducteur : ø

Nombre de pages : 564

Sur l'auteur

Né à Paris, Pierre Lemaitre a beaucoup enseigné aux adultes, notamment les littératures française et américaine, l’analyse littéraire et la culture générale. Il est aujourd’hui écrivain et scénariste. Son premier roman, "Travail soigné",  a obtenu le Prix Cognac en 2006. "Alex", prix des lecteurs du livre de poche. En 2010 sort "Cadres noirs" qui rompt avec le style de ses autres polars et qui s'inspire d'un fait réel survenu à France Télévisions. En 2013 sort "Au revoir là haut", récompensé du Prix Goncourt 2013 et adapté au cinéma. En 2016, Lemaitre renoue avec le roman noir avec "Trois jours et une vie" qui raconte la destinée d'un jeune assassin de 12 ans. En 2018, la suite de Au revoir là-haut est publié et a pour titre Couleur de l'incendie.


Résumé : Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu'amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts...
Fresque d'une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d'évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l'après-guerre de 14, de l'illusion de l'armistice, de l'Etat qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l'abomination érigée en vertu.
Dans l'atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose la grande tragédie de cette génération perdue avec un talent et une maîtrise impressionnants.

Citation :

Albert s'agenouille et ouvre son sac. Il sort tout, pose son quart entre ses jambes ; il va étendre sa capote contre la paroi glissante, planter dans la terre tout ce qu'il a sous la main pour servir de crampon, il se tourne et c'est exactement à ce moment-là que l'obus se fait entendre quelques dizaines de mètres au-dessus de lui. Soudain inquiet, Albert lève la tête. Depuis quatre ans, il a appris à distinguer les obus de soixante-quinze des quatre-vingt-quinze, les cent cinq des cent vingt... Sur celui-là, il hésite. Ce doit être à cause de la profondeur du trou, ou de la distance, il s'annonce par un bruit étrange, comme nouveau, à la fois plus sourd et plus feutré que les autres, un ronflement amorti, qui se termine en une vrille surpuissante. Le cerveau d'Albert a juste le temps de s'interroger. La détonation est incommensurable. Prise d'une convulsion foudroyante, la terre s'ébranle et pousse un grondement massif et lugubre avant de se soulever. Un volcan. Déséquilibré par la secousse, surpris aussi, Albert regarde en l'air parce que tout s'est obscurci d'un coup. Et là, à la place du ciel, une dizaine de mètres au-dessus de lui, il voit se dérouler, presque au ralenti, une immense vague de terre brune dont la crête mouvante et sinueuse ploie lentement dans sa direction et s'apprête à descendre vers lui pour l'enlacer. Une pluie claire, presque paresseuse, de cailloux, de mottes de terre, de débris de toutes sortes annonce son arrivée imminente. Albert se recroqueville et bloque sa respiration. Ce n'est pas du tout ce qu'il faudrait faire, au contraire, il faut se mettre en extension, tous les morts ensevelis vous le diront. Il y a ensuite deux ou trois secondes suspendues pendant lesquelles Albert fixe le rideau de terre qui flotte dans le ciel et semble hésiter sur le moment et le lieu de sa chute.
Dans un instant, cette nappe va s'écraser sur lui et le recouvrir.
En temps normal, Albert ressemble assez, pour faire image, à un portrait du Tintoret. Il a toujours eu des traits douloureux, avec une bouche très dessinée, un menton en galoche et de larges cernes que soulignent des sourcils arqués et d'un noir profond. Mais à cet instant, comme il a le regard tourné vers le ciel et qu'il voit la mort approcher, il ressemble plutôt à un saint Sébastien. Ses traits se sont brusquement tirés, tout son visage est plissé par la douleur, par la peur, dans une sorte de supplique d'autant plus inutile que de son vivant Albert n'a jamais cru à rien et ça n'est pas avec la poisse qui lui arrive qu'il va se mettre à croire en quelque chose. Même s'il en avait le temps.
Dans un formidable craquement, la nappe s'abat sur lui. On aurait pu s'attendre à un choc qui l'aurait tué tout net, Albert serait mort et voilà tout. Ce qui se passe est pire. Les cailloux et les pierres continuent de lui tomber dessus en grêle puis la terre arrive, d'abord couvrante et de plus en plus lourde. Le corps d'Albert est collé au sol.
Progressivement, à mesure que la terre s'entasse au-dessus de lui, il est immobilisé, compressé, comprimé.
La lumière s'éteint.
Tout s'arrête. 

Commentaire personnel : J'ai dévoré ce roman en quelques jours. Le style d'écriture, le genre, l'histoire, les personnages... J'ai été très attachée à Albert, mais aussi à Edouard Péricourt, à son père qui le croit mort. C'est une histoire longue à expliquer mais je vais essayer de faire court. Après cette incroyable scène cinématographique que j'ai cité précédemment, Albert est ensevelit vivant, mais est sauvé par Edouard qui a assisté à la scène. C'est le lieutenant Pradelle, un horrible homme qu'ils ont pour chef, a poussé Edouard dans un énorme trou d'obus. Ce trou, à cause d'un autre obus (incroyablement bien décrit ci-dessus), se referme avec Albert à l'intérieur. Edouard le sauve donc, mais lorsqu'Albert revient à lui, un obus éclate et Edouard perd la moitié de son visage. À l'hôpital, après l'armistice, Edouard souffre énormément par ses blessures et en guise de remerciement pour avoir été sauvé, Albert s'occupe de lui et vole de la morphine pour l'aider à moins souffrir. A l'hôpital, Edouard ne peut plus parler suite à ses blessures, et écrit à Albert pour lui dire de faire quelque chose car il ne veut pas rentrer à Paris comme cela, il ne veut pas que sa famille le voient avec ce visage. Il préfèrerait être mort. Albert s'infiltre dans un bureau et échange l'identité d'un soldat mort, Eugène Larivière avec celle d'Edouard. Edouard est donc maintenant mort pour la France, et Eugène a ressuscité. 
Madeleine, la sœur de Edouard, reçoit une lettre par Albert Maillard et apprend que son frère a été tué en héros. Elle décide donc de rencontrer Albert et de se recueillir sur la tombe d'Edouard. S'ensuit toute une histoire de mensonge, de quiproquos, mais Albert s'en sortira et vivra, démobilisé, avec Edouard chez une dame et une petite fille. La petite fille et Edouard se lient d'amitié, et pendant qu'Albert va travailler pour une misère somme, les deux fabriquent des masques pour cacher les blessures au visage d'Edouard. 
Ensuite toute une magouille se créé autour de la question du monument aux morts. Le lieutenant Pradelle, marié après la guerre à Madeleine (la sœur d'Edouard), met en place une entreprise afin de devenir riche. Pour cela, il créé un cimetière pour les soldats de la Première Guerre mondiale. Son beau-père, donc le père d'Edouard avec qui il ne s'est jamais bien entendu, réalise un an après la "mort" de son fils qu'il a vraiment disparu. Il veut créer un monument aux morts pour toutes les victimes de la guerre, dont son fils. Il lance un appel grâce au journal local afin de recruter un créateur de monuments aux morts qui sera très bien payé. Edouard qui lit le journal, décide de le faire, et va créer un catalogue avec plusieurs dessins de monuments aux morts qu'il a lui-même dessiné. Edouard, la petite fille de onze ans et Albert s'allient et parviennent à bout de l'escroquerie qui consiste alors à seulement faire le catalogue, attendre les demandes et récolter l'argent, puis s'enfuir avec la somme récoltée.

Pour parler de l'extrait choisi, je l'ai trouvé incroyablement bien écrit, car Pierre Lemaitre arrive à décrire sur deux pages à peine quelques secondes de la vie d'Albert. Tout nous fait penser à une scène apocalyptique, avec "la terre s'ébranle", "il voit la mort approcher"... Tout est décrit à la perfection, nous arrivons à distinguer chaque détail de la scène. C'est du travail minimaliste, professionnel, de cinéaste. Les deux apparences données à Albert sont précises : le Tintoret et le Saint Sébastien. Ce passage est très pictural.

Tintoret : autoportrait
(Les grands yeux d'Albert, le visage durci, la douleur, la peur constante)


Loos tire à l'arc : Saint Sébastien
(Le regard vers le haut, Albert qui regarde l'obus arriver)




La fin du livre était bouleversante, mais j'ai largement préféré celle du film qui était beaucoup plus poétique, plus sensible, plus belle. Et toi, tu préfères quelle fin?

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